Comment la filière blé s’adapte au défi climatique ?
Les aléas météorologiques liés au réchauffement climatique impactent la production de blé. Pour assurer notre souveraineté à long terme, la recherche agronomique s’active depuis des décennies. Quelles en sont les grandes orientations ? Pour quels résultats ?
Le blé tendre est une céréale stratégique en France, en Europe et sur de nombreux continents dans le monde. En vue de répondre aux défis liés à la souveraineté alimentaire dans un contexte de réchauffement climatique, la filière française s’active pour trouver des leviers d’adaptation et de décarbonation.
Débroussaillage du sujet
Chez Arvalis — le plus grand institut de recherche agricole appliquée aux grandes cultures — ce domaine concerne une bonne cinquantaine de projets et concentre une grande partie des financements (provenant notamment des producteurs via leur interprofession, du compte d’affectation spéciale développement agricole et rural et du fonds de soutien à l’obtention végétale).
Les premières recherches sur le sujet ont démarré il y a une trentaine d’années. « À cette époque, l’objectif était surtout de comprendre les liens entre évolution climatique et physiologie du blé, explique Alexis Decarrier, animateur national filière blé tendre chez Arvalis. Le défi consistait à mesurer l’incidence des épisodes extrêmes — sécheresse, gelée tardive, canicule, par exemple — sur le développement de la plante : levée, montaison, épiaison… Les simulations basées sur des modèles physiologiques ont permis ensuite d’identifier différentes voies d’adaptation, comme l’amélioration variétale ou l’optimisation des techniques culturales, poursuit-il. Un certain nombre de projets se sont focalisés sur la détermination de marqueurs de résistance au stress, hydrique, thermique ou biotique notamment. L’identification de ces caractères au champ — appelés traits — a permis d’accélérer considérablement les procédures d’amélioration variétale, reconnaît-il. De nombreux travaux se sont aussi consacrés à l’optimisation des itinéraires culturaux et des techniques agricoles. Tout cela a amené à faire émerger des parades techniques devenues courantes en bio ou en conventionnel : décalage des semis, rotations, couverts, intercultures, enrichissement du sol… »
Criblage rapide
Les recherches sur la résistance génétique du blé ont connu une forte accélération dans les années 2000, avec l’arrivée de techniques de génotypage et de phénotypage rapides. Les projets d’Arvalis — dont l’activité historique consiste à évaluer des variétés en champ pour les agriculteurs et les acteurs économiques, comme la meunerie française et l’industrie semencière — ont ainsi évolué vers des collaborations plus techniques, élargies à des consortiums nationaux ou internationaux (regroupant plusieurs sociétés privées et instituts publics). « Les semenciers sont très impliqués dans ces travaux, stratégiques pour eux. Ils s’adressent à Arvalis car nous disposons de stations high-tech, comme Gréoux-les-Bains [Alpes-de-Haute-Provence] et Beauce-la-Romaine [Loir-et-Cher], deux terroirs au profil pédoclimatique [climat interne du sol, NDLR] très différent. C’est avec les résultats obtenus lors de ces essais que les semenciers peuvent ensuite faire évoluer leurs variétés », précise Alexis Decarrier.
Un progrès continu
Force est de constater que les blés à l’essai chez Arvalis en vue de leur inscription et de leur commercialisation, sont bien plus résistants qu’il y a dix ans aux sécheresses et aux canicules des fins de cycle (mai-juin). Leur rendement se maintient à un haut niveau malgré des conditions devenues plus défavorables. « Le processus d’évaluation sur deux ans — avant inscription — joue également en faveur d’une adaptation génétique continue, ajoute l’animateur national filière blé tendre d'Arvalis. Les variétés les plus compétitives, retenues pour leurs performances, entrent sur les listes recommandées pour la meunerie, tandis que les moins performantes — souvent les plus anciennes — sont délaissées. En dix ans, sur l’ensemble de l’offre de variétés recommandées on remarque même un gain de rendement moyen de l’ordre 0,5 quintal par hectare et par an. Alors qu’il était auparavant impensable d’obtenir des variétés à la fois résistantes — aux stress biotiques ou abiotiques — et productives — en quantité et en qualité de protéines —, aujourd’hui, c’est devenu possible », souligne-t-il.
Ces super-variétés (telles que Chevignon ou KWS Extase, et bien d’autres) constituent l’aboutissement le plus marquant de tous les travaux menés depuis près de trente ans. Comme ces blés sont plus résistants et productifs, ils demandent aussi moins d’intrants chimiques et répondent mieux aux enjeux de décarbonation et de santé. Dans vingt ans, on aura donc toujours de bons blés !